Entretien publié dans la revue Tempo Flûte n° 3

Extraits d’un entretien publié dans la revue Tempo Flûte (n° 3, premier semestre 2011)

Grâce à un jeu exceptionnel dont la portée dépasse le cadre du seul piccolo et grâce à son incessante activité.
Passion piccolo, titre de l’un de ses disques, ne peut mieux lui convenir. Jean-Louis Beaumadier s’est imposé avec bonheur comme un artisan majeur du renouveau et d’une nouvelle Belle Époque du piccolo, défrichant des terres restées vierges jusque-là. Sa renommée s’étend aujourd’hui sur presque tous les continents, où on le réclame. Si l’on demande à un mélomane de citer les noms de grands flûtistes contemporains, sa réponse peut désormais inclure le nom d’un célèbre joueur de petite flûte.
(Pascal Gresset pour Tempo flûte)


D’un petit Bonneville À un grand orchestre

Pascal Gresset : Depuis votre nomination au poste de piccolo solo de l’Orchestre national de France en 1976, l’univers du piccolo a été profondément modifié. En affirmant son rôle d’instrument soliste à part entière avec le succès que l’on sait et en prouvant qu’un public existe, vous y avez largement contribué. Il serait intéressant de suivre l’itinéraire qui a été le vôtre, parallèlement au renouveau de l’instrument. Qu’en a-t-il été ?

Jean-Louis Beaumadier : L’histoire du piccolo commence pour moi bien avant ma nomination à l’Orchestre national de France. Quand j’avais quatorze ans, j’éprouvais du plaisir à jouer un piccolo Bonneville qui possédait une très belle sonorité, large et chaude. (…) Je n’étais que dans mes premières années de flûte et j’éprouvais des difficultés à jouer la Bourrée anglaise de la Partita de Bach, mais, avec le piccolo, tout allait bien ! (…)
Je n’ai jamais suivi de cours de piccolo. Une seule fois, pendant mes études au Conservatoire de Paris, j’en ai joué devant Monsieur Hériché1. (…) Autour de moi, au Conservatoire, tout le monde reconnaissait que tout allait très bien quand j’en jouais. Pendant mes études, j’ai été nommé piccolo solo de l’Orchestre Colonne. (…) Au concours international de Genève, j’ai été le troisième Français nommé après Jean-Claude Gérard et Guy Cottin.2

1. Robert Hériché (1906-1991) fut soliste de l’Orchestre de la Garde républicaine, de l’Orchestre de l’Opéra de Paris et professeur suppléant auprès de Jean-Pierre Rampal au Conservatoire. Il jouait de la flûte et du piccolo.
2. En 1969, le premier prix de Genève ne fut pas attribué et le deuxième prix fut attribué à Guy Cottin et Chang-Kook Kim, ex-aequo. Jean-Claude Gérard, qui avait remporté le Deuxième prix lors de la session précédente (1966), était à nouveau arrivé en finale en 1969. Leone Buyse était troisième.

PG : Comment se sont déroulés vos premiers pas à l’Orchestre national de France ? 

JLB : Deux places de flûte étaient à pourvoir en 1974, celles de Georges Lussagnet, décédé d’un cancer, et de René Rateau, qui venait de prendre sa retraite. Deux concours ont donc eu lieu, un pour le poste de deuxième flûte, l’autre pour le poste de troisième flûte jouant le piccolo. Philippe Gauthier et moi avons été reçus, lui à la place de deuxième flûte et moi, à la place avec piccolo. (…) En 1976, j’ai remporté le concours de piccolo solo.
Pendant que j’étais à l’orchestre, j’ai participé au piccolo à des émissions à la radio et enregistré en 1978, avec le pianiste Jean Koerner1, mon disque La Belle Époque du piccolo pour le label Calliope. Cela me plaisait. Le disque a reçu le prix Charles Cros.

1. Le pianiste Jean Kœrner, né en 1946, est décédé le 22 octobre 2010 à l’âge de 64 ans. Il avait été, de 1979 à 2009, professeur d’accompagnement au Conservatoire de Paris, avait accompagné Jean-Pierre Rampal lors d’une tournée en Chine et composait.

PG : Le prix de l’Académie Charles Cros a-t-il représenté le point de départ de vos récitals de piccolo ?

JLB : Je donnais déjà des récitals auparavant, mais à la flûte et au piccolo. Un ami, François Pagès, avait créé dans le Midi un grand festival, le Festival méditerranéen des jeunes interprètes. (…) Je m’y produisais, en compagnie de Lily Laskine, Alexandre Lagoya et Ivry Gitlis. Dans tous les concerts, je glissais au piccolo le Carnaval de Venise. Tout a commencé ainsi. (…)
Après la Belle Époque du piccolo, j’ai enregistré en 1981, toujours au piccolo, les Fantaisies de Telemann. Les critiques ont été bonnes, notamment en Angleterre, et j’ai progressé dans cette direction. Alain Marion m’a alors conseillé de m’adresser aux éditions Gérard Billaudot. J’y ai édité le Merle blanc d’Eugène Damaré puis le directeur, Monsieur Derveaux, m’a demandé d’écrire une méthode de piccolo. Je voulais éditer des exercices de piccolo se trouvant à la fin de la méthode de flûte de Damaré (…) Hélas, (…) ils n’étaient pas tombés dans le domaine public et l’on ne pouvait pas y toucher.(…) J’ai donc rédigé des exercices simples en fonction des difficultés qui me semblaient naturelles. Ils ont été publiés en 1983.
(…) J’ai également enregistré pour Calliope les trois concertos pour piccolo de Vivaldi avec l’Orchestre national de France dirigé par Jean-Pierre Rampal. Le disque a été six fois réédité depuis, c’est un succès.

PG : Quel regard portez-vous sur l’époque où vous siégiez au pupitre de l’Orchestre national de France ?

JLB : J’ai eu la chance d’y être quand le directeur général, Pierre Vozlinsky, directeur des programmes et services musicaux de Radio-France, invitait des chefs d’orchestre comme Leonard Bernstein, Seiji Ozawa, Lorin Maazel, Wolfgang Sawallisch – que j’appréciais beaucoup quand il dirigeait du Schubert – et Sergiu Celibidache, avec lequel j’ai fait mes débuts alors que je ne possédais pas encore réellement de métier ! (…)
Quand je suis rentré à l’Orchestre national, certains de mes collègues y avaient connu l’époque où Désiré-Émile Ingelbrecht1 le dirigeait. L’Orchestre fut mon conservatoire.

1. Désiré-Émile Ingelbrecht (1880-1965) fut l’une des grandes baguettes de l’Orchestre national de France, dont il fut chargé de la création en 1934 et qu’il retrouva en 1947, après en avoir été chassé pendant la guerre.

PG : Avez-vous bien connu Maurice Pruvot, qui était alors piccolo solo de l’Orchestre de Paris et a conseillé tant de futurs solistes ?

JLB : Maurice Pruvot était un homme chaleureux qui m’a toujours encouragé. Après une audition de la classe de Jean-Pierre Rampal, nous nous sommes retrouvés à plusieurs autour de lui et avons discuté. Il conseillait de tout jouer au piccolo : Bach, Telemann… C’est ainsi qu’est née mon idée d’enregistrer les douze Fantaisies de Telemann. Chaque fois que je joue ou que je fais travailler au piccolo les Sonates de Bach ou les Fantaisies de Telemann, je pense à lui. Quand une de mes éditions ou l’un de mes disques paraissait, il me téléphonait pour me féliciter et m’encourager.

PG : Vous avez également eu la chance de jouer dans un orchestre fondé au Japon par le chef d’orchestre Seiji Ozawa. Comment cela s’est-il passé  ?

JLB : J’étais déjà de retour à Marseille lorsque Shigenori Kudo m’a téléphoné en 1998 pour me demander si je pouvais remplacer la soliste de l’orchestre de Seiji Ozawa, membre de l’Orchestre de Boston, qui était enceinte. J’ai accepté et me suis retrouvé aux jeux olympiques de Nagano avec l’orchestre particulier d’Ozawa, qui s’appelle Saito Kinen1. (…) Pour les jeux olympiques, l’orchestre s’était élargi aux solistes du monde entier. J’étais le seul Français. La flûte solo était Wolfgang Schultz, de l’orchestre de Vienne, et les musiciens venaient de Berlin, Boston etc. Après Nagano, avec Shigenori Kudo qui était co-soliste de l’orchestre et soliste du Concerto en sol majeur de Mozart, nous avons donné d’autres concerts dans des salles de cinq mille personnes.

1. L’orchestre Saito Kinen fut fondé par Seiji Ozawa et Kazuyoshi Akiyama pour célébrer le dixième anniversaire du décès de leur professeur de direction d’orchestre, Hideo Saito.

De Marseille AU NEBRASKA :
« pour Périr tout entier, que servirait-il de naître »1 ?

 1. Citation de Victor Gélu (1806-1885), poète et chansonnier marseillais, inscrite sous son buste érigé sur le vieux port de Marseille.

PG : En revenant à Marseille, vous avez renoué avec une vie méridionale que vous aviez quittée avant de rentrer au Conservatoire de Paris. Comment se sont déroulées vos études au Conservatoire de Marseille ?

JLB : Au Conservatoire de Marseille, mon premier professeur fut Joseph Rampal, le père de Jean-Pierre. J’ai commencé la flûte très tard, à douze ans. (…) Joseph Rampal (…) m’a donné mes premières leçons, mais je n’ai travaillé que six mois avec lui, avant sa retraite. Je me rappelle très bien tout, la classe, les élèves…. Quand j’ai débuté, en 1962, le conservatoire était tout drapé de noir à cause de l’enterrement d’André Audoli, son directeur. (…) Le Conservatoire de Marseille était tout petit à l’époque, mais la générosité des professeurs était grande. Le directeur, Pierre Barbizet, partait donner des concerts avec les violonistes Zino Francescatti et Christian Ferras ou avec Jean-Pierre Rampal. De retour, il n’hésitait pas à se mettre au piano pour jouer avec les élèves. C’était une grande famille. (…) Après Joseph Rampal, mon professeur fut Jean Augier. Membre de l’orchestre de l’Opéra de Marseille et professeur de son Conservatoire, il avait été l’élève de Marcel Moyse avant de devenir soliste à l’orchestre de Winterthur, en Suisse, où il était devenu un ami d’André Jaunet1. (…) À Marseille, il jouait beaucoup à côté de Joseph Rampal. (…) Il existait autrefois à Marseille les Concerts classiques, réunion des deux petits effectifs des orchestres de l’Opéra et de la Radio, que dirigeait André Audoli. Une salle de concert en bois avec un orgue existait rue du Paradis, la salle Prat – un immeuble Noilly-Prat existe toujours –, mais elle a brûlé. Une grande vie musicale se déroulait à cette époque. Tous les grands solistes venaient à Marseille. (…)

1. André Jaunet (1911-1988), flûte français, fut soliste de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich de 1938 à 1978 et professeur au Conservatoire de cette ville de 1938 à 1981. Parmi ses élèves, on remarque les noms de Robert Aitken, Jean-Claude Gérard, Peter-Lukas Graf, Conrad Klemm, Paul Meissen, Aurèle Nicolet, Emmanuel Pahud, Günther Rumpel ou Masao Yoshida.

PG : Lorsque vous avez quitté l’Orchestre national pour regagner le Midi de la France, Pierre Barbizet a ouvert au Conservatoire de Marseille une classe de flûte pour vous, parallèlement à votre nouvelle place de piccolo solo de l’Opéra1 de cette ville. Comment avez-vous alors, depuis Marseille, poursuivi votre carrière de soliste ?

JLB : En arrivant ici, j’avais soif de Provence. Le pays et la lumière me manquaient. J’ai réalisé ce que je souhaitais de ce côté-là, sans vouloir disparaître du paysage musical. Avoir été employé d’un orchestre comme le National était fabuleux et j’ai voulu conserver ce bénéfice. Je me suis d’abord consacré à la flûte, j’ai joué au Festival méditerranéen, enregistré chez Calliope – qui m’a laissé carte blanche – les concertos et quatuors de Mozart, les Variations sur la Belle meunière de Schubert avec Noël Lee et, en tout, une vingtaine de disques qui ont reçu de bonnes récompenses, notamment plusieurs Diapasons. J’ai joué beaucoup de musique contemporaine avec Jacques Raynaut, élève de Claude Helffer et passionné par la musique de son temps. J’ai connu grâce à lui Jacques Lenot et d’autres compositeurs, puis, en 1995, nous avons enregistré sous la direction de Fabrice Pierre Allégories d’exil. Nous nous sommes beaucoup investis dans ce disque, qui a obtenu un Dix de Répertoire. (…) La Sonate de Debussy, enregistrée avec Fabrice Pierre à la harpe et Pierre-Henri Xuereb à l’alto, a reçu de très bonnes critiques dans le monde entier et a été utilisée l’année dernière dans un film musical intitulé Je te mangerais, dont la bande originale a été publiée par le label Naïve2. Durant cette période, je n’ai pas délaissé le piccolo et un disque a paru en 1996 avec l’ensemble La Follia, intitulé Concert pour un kiosque.
J’ai créé un récital avec Nidi de Franco Donatoni, la Partita de Bach et tout un répertoire sur les quatre flûtes. Je l’ai proposé partout en France et j’ai dû le donner quatre cents fois. Je l’ai enregistré. (…) C’est ensuite que je me suis spécialisé dans le piccolo (…)  et j’ai également développé ma collection des éditions Billaudot. Le disque Piccolo marmelade est sorti, Calliope en a vendu beaucoup, mais son directeur a cessé d’enregistrer de la flûte. (…) Aujourd’hui, j’enregistre chez Skarbo.

1. En 1981, l’orchestre de l’Opéra de Marseille, qui avait intégré en 1965 des musiciens de l’Orchestre régional de l’O.R.T.F. après la dissolution de ce dernier, est devenu l’Orchestre philharmonique de Marseille, partagé entre une saison lyrique et une saison symphonique. Son effectif s’élève aujourd’hui à quatre-vingt huit musiciens.
2. Je te Mangerais, film de Sophie Laloy (2009) avec Isild Le Besco, Judith Davis et Johan Libérea : bande originale (Bach, Chopin, Caplet, Debussy…) interprétée par Jean-Louis Beaumadier, Brigitte Engerer, André Isoir, Ursula Holliger, Gallina La Lupa, Alexandre Tharaud etc.

PG : Le disque Piccolo Marmelade (1999) vous a-t-il donné un nouvel essor ?

JLB : Si l’on veut, mais une série de disques a suivi avec notamment Piccolo Carnival (2004), enregistré à Marseille (…) et les quatre disques du label Skarbo : Piccolo passion (2005), Il pastor fido (2008), Piccolo et flûte à l’opéra (2008) – avec Shigenori Kudo à la flûte – et Brésil 1900 (2009).

Répertoire et Édition

PG : Votre premier disque, La Belle Époque du piccolo, étape importante de votre parcours, est étroitement lié à la musique d’Eugène Damaré, qui s’y taille la part du lion et continue, aujourd’hui encore, de vous accompagner. Comment vous êtes-vous attaché à ce musicien1 ?

JLB : Avant d’intégrer l’Orchestre national de France, j’ai été recruté en 1972 par l’ensemble Pupitre 14 d’Amiens et j’ai quitté l’Orchestre Colonne. Je jouais du piccolo pour le plaisir, notamment dans le quintette à vent Kleine Kammermusik de Paul Hindemith. J’ai alors rencontré Jacques Le Calvé, producteur des disques Calliope2, et lui ai proposé d’enregistrer un disque de piccolo.
Le Merle blanc d’Eugène Damaré a été composé à la Belle Époque. Célèbre, il a été repris à l’accordéon, au limonaire etc. et, enfant, je l’écoutais sur un disque de danses et de polkas interprété par Lou Gamme3, un flûtiste qui travaillait beaucoup pour les maisons de disques. Comme je possédais une vielle partition du Merle, je proposai à Jacques Le Calvé d’intituler le disque La Belle époque du piccolo. L’idée lui a plu. Je ne possédais cependant aucune autre partition de ce genre, mais, de Damaré, j’ai trouvé à la Bibliothèque nationale Le tourbillon, La tourterelle, le Caprice…
Avant que je ne rentre au Conservatoire, Gaston Crunelle4 m’avait envoyé à l’orchestre de Cannes, dans lequel j’ai joué pendant deux saisons d’hiver, la première en décembre 1968. Un vieux Monsieur, qui s’appelait Georges Roux et jouait la troisième flûte, m’avait offert une version autographe d’Il pleut bergère de Paul-Agricole Génin, avec la mention manuscrite suivante : « si l’on joue en plein air à la petite flûte, on peut supprimer les mouvements lents ». Je détenais là la preuve que cette pièce pouvait être joué à la petite flûte (j’ai même enregistré les mouvements lents !). Je possédais donc Il pleut bergère, le Carnaval de Venise (version de Génin avec piccolo), le Merle blanc et les partitions trouvées à la Bibliothèque nationale avec l’aide de Fernand Quatrefages, conservateur à la Bibliothèque et compositeur, rencontré à Amiens lors d’un concours de composition, organisé par Pupitre 14, qu’il avait remporté.

1. Eugène Damaré (Saint-Esprit, près de Bayonne, 1840 – Colombes, près de Paris, 1919), après avoir été au Conservatoire l’élève de Jean-Louis Tulou pour la flûte et de Léo Delibes pour la composition, est piccolo solo des Concerts Lamoureux, des Concerts du Grand hôtel (Concerts Arban) et chef d’orchestre des fêtes de l’Hôtel de ville de Paris. L’époque des polkas, mazurkas et valses bat son plein et le virtuose, ses compositions (environ 450, principalement pour flûte ou piccolo) et son instrument sont très appréciés en Europe et en Amérique du Nord et du Sud. Le hasard voudra que l’auteur du Merle blanc, de La tourterelle et de tant d’autres pièces aux titres d’oiseaux meure à Colombes (Hauts-de-Seine)!
2. Jacques Le Calvé, aujourd’hui âgé de 77 ans, fonda le label en Calliope en 1971 à Compiègne. L’entreprise fermera ses portes en 2011 après avoir publié près de quatre cents titres.
3. De son vrai nom Léon Gamme, on le retrouva dans le quatuor de flûtes de Roger Bourdin.
4. Gaston Crunelle (1898-1990) fut professeur de flûte au Conservatoire de Paris de 1941 à 1969.

PG : Comment vous êtes-vous intéressé au répertoire brésilien d’autrefois ?

JLB : Une pianiste brésilienne avec laquelle je joue, Maria-José Carrasqueira, est fille d’un flûtiste qui avait fondé une grande école – il peignait également – et sœur d’un grand flûtiste, Antonio. Son père possédait toutes les partitions de Pattapio Silva, qu’elle a éditées au Brésil1.

1. La plus célèbre, une valse intitulée Primeiro amor (Premier amour) a éditée pour piccolo et piano par Jean-Louis Beaumadier aux éditions Gérard Billaudot en 2007 (G 8037 B).

PG : Qui décide des créations que vous éditez ?

JLB : Quand j’ai commencé à développer ma collection, j’ai demandé à plusieurs compositeurs rencontrés s’ils voulaient composer pour piccolo. Beaucoup ont répondu et ont été édités : Georges Rabol, Serge Paloyan… Les éditions Billaudot sont, naturellement, libres d’accepter ou de refuser mes propositions.

PG : Parmi vos éditions, on trouve un concerto en trois mouvements signé Raymond Niverd et dédié au flûtiste Jean Patéro, Piccolo concerto. Existe-t-il beaucoup de concertos pour piccolo composés ces dernières décennies ?

JLB : J’ai édité le concerto de Raymond Niverd il y a déjà longtemps, en 1988. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de nombreux concertos ont été composés au XXe siècle à travers le monde.

PG : Avec Pipeaux 1934, un recueil de pièces commandées cette année-là par Mrs Hanson-Dwyer, fondatrice des éditions de L’oiseau-lyre, vous vous êtes intéressé au répertoire pour flûte à bec du XXe siècle. À part Philippe Bernold, qui apporte parfois sur scène une flûte à bec à la fin de ses récitals, comme à Munich récemment, pour interpréter la Villanelle de Poulenc, les flûtistes ignorent souvent ce type de répertoire. En y rattachant d’autres pièces, vous venez de les enregistrer au piccolo. Pourquoi ?

JLB : Dans mon disque sur le Groupe des six, enregistré pour Calliope (1998) avec la Sonate de Poulenc, Syrinx de Debussy, la Sonatine de Louis Durey etc., je joue déjà trois des sept Pipeaux : la Villanelle, Exercice musical, pour flûte et qui n’était jamais joué, de Darius Milhaud et le Scherzo de Georges Auric. De là m’est venue l’idée d’enregistrer les sept Pipeaux, en complétant les trois précédents avec Pastoral, le quatuor de Jacques Ibert pour quatre pipeaux aux tons différents joué au piccolo, à la flûte, la flûte en sol et la flûte basse, avec le Pas redoublé de Pierre-Octave Ferroud pour deux pipeaux et piano, Pipe d’Albert Roussel et la Mélodie d’Henri Martelli. J’ai choisi le thème et le titre du disque, Pastoral. Curieusement, Arthur Honegger avait été contacté pour écrire un Pipeau et l’une de ses pièces, un des Trois contrepoints, figure dans mon programme. Je l’ai complété avec la Pastorale de Germaine Tailleferre que j’avais déjà enregistrée à la flûte, la Pastorale d’Amable Massis et le deuxième mouvement, pastoral, de la Troisième sonate de Philippe Gaubert. J’ai ajouté un groupe de pièces évoquant les bergers avec le Petit chevrier corse et le Tombeau de Mireille, avec tambourin, d’Henri Tomasi, et fait une allusion aux oiseaux avec un extrait du Mariage des oiseaux de Georges Migot.

PG : Ne méconnaissait-on pas la musique d’Eugène Damaré avant que vous l’enregistriez ?

JLB : Je l’ai faîte connaître et, les temps ayant changé, elle plus appréciée aujourd’hui qu’à la fin des années 70 ou dans les années 80. Elle est intéressante, on le voit par exemple dans la Polonaise, mais n’oublions pas que Damaré fut l’élève de Léo Delibes. Il possède une signature que l’on reconnaît.

UN MOT DE LUTHERIE

PG : Jouez-vous toujours le même picccolo ?

JLB : Je joue le même piccolo Haynes, dont j’ai retravaillé l’embouchure, depuis trente-deux ans. Il a été magnifiquement restauré par Jean-Yves Roosen.

ÉPOQUES

PG : S’affirme-t-on aujourd’hui dans le métier de musicien de la même manière qu’hier ?

JLB : Certainement pas. En jouant en beat boxing des airs comme Inspecteur gadget dans des vidéos diffusées sur Internet et regardées par plus d’un million de spectateurs, Greg Patillo a atteint une popularité égale à celle de James Galway. S’il avait voulu utiliser les canaux habituels de diffusion, cela ne serait pas arrivé. Cela peut s’avérer dangereux (gare à la facilité), mais offre aussi beaucoup de liberté et de nouvelles chances à certains (…)

PG : La carrière se déroule-t-elle ensuite de la même manière ?

JLB : Quand j’avais quinze ou seize ans existait à côté de chez moi, à Marseille, un disquaire, Monsieur Lemaire, chez qui j’allais acheter des disques toutes les semaines. J’ai acheté tous les Rampal, L’âge d’or de la flûte de Michel Debost et Christian Ivaldi, les Sonates de Bach par Maxence Larrieu, les Sonates de Bach par Alain Marion, les disques de Christian Lardé – les Pièces en concert de Rameau, les Sonates de Bach, ses duos flûte et harpe –, de son Quintette instrumental, de Roger Bourdin jouant le concerto pour flûte et harpe de Mozart etc. J’étais curieux. Cinq ou six grands flûtistes français jouaient sans arrêt et enregistraient, me donnant envie de les imiter. Je les admirais. C’est ainsi que j’ai voulu devenir flûtiste. Aujourd’hui, les flûtistes sont très nombreux, mais rien n’est plus pareil. Les solistes situés au sommet de la hiérarchie se retrouvent dans les jurys de grands concours, donnent les classes de maître ou animent des stages. Ne trouvez-vous point qu’ils n’ont plus assez d’occasions de jouer ?

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Entretien réalisé en juillet 2010 par Pascal Gresset pour la revue Tempo flûte©
Extraits reproduit avec l’autorisation de Tempo flûte : www.tempoflute.com
La discographie complète de Jean-Louis Beaumadier a été publiée dans le numéro 4 de Tempo flûte (deuxième semestre 2011)